Sommaire
1. La vraie définition du mot « créativité »
2. Le processus créatif : la vision d’un mystique
3. La créativité peut-elle être développée ou est-ce une qualité innée ?
4. L’anxiété peut-elle alimenter la créativité ?
5. Qu’est-ce qui inspire la créativité de Sadhguru ?
6. Le point de vue de Sadhguru sur l’art

La vraie définition du mot « créativité »

Sadhguru:

Je ne crois pas qu’un être humain puisse être créatif. Si nous percevons la création autour de nous avec une certaine profondeur, nous pouvons imiter de bien des façons, avec des permutations et des combinaisons, et paraître créatifs en société, mais en réalité, nous ne sommes pas vraiment créatifs. Tout ce qui peut être créé l’a déjà été dans la création. Nous sommes tout au plus d’habiles artisans. Si vous définissez le mot « créativité » comme le fait de réellement créer quelque chose, que vous réalisiez un film, peigniez quelque chose, construisiez un bâtiment, parliez ou quoi que ce soit d’autre, ce n’est pas vraiment créatif, c’est une habile imitation. C’est parce que nous avons prêté attention à différents aspects de la vie que nous sommes capables d’imiter d’une manière que d’autres n’ont pas cru possible. Ou si vous n’aimez pas le mot « imiter », vous pouvez dire « reproduire ».

Le processus créatif : la vision d’un mystique

Si vous regardez les êtres humains : personne n’a de cornes, un bras supplémentaire ou trois yeux. Tout est pareil, mais tout est différent. C’est cela, la créativité. Si vous voulez décrire les caractéristiques des êtres humains en termes simples : tout le monde a deux jambes, deux mains, un nez, deux yeux, et ainsi de suite. Mais voyez quel phénomène unique est chacun d’eux, à tout point de vue. Telle est la nature de la création.

Tout ce que vous créez, qu’il s’agisse d’un bijou ou d’un vêtement, d’un bâtiment ou de quoi que ce soit d’autre, quelle que soit sa forme ou sa couleur, existe déjà quelque part dans la nature.

Aucun être humain ne devrait penser que nous créons quelque chose. D’une certaine manière, sciemment ou inconsciemment, nous reproduisons certaines choses à partir des impressions que nous avons recueillies. Personne ne peut vraiment créer quelque chose de nouveau ici. Tout ce que vous créez, qu’il s’agisse d’un bijou ou d’un vêtement, d’un bâtiment ou de quoi que ce soit d’autre, quelle que soit sa forme ou sa couleur, existe déjà quelque part dans la nature.

Vous avez recueilli tant d’impressions, pas toujours consciemment. Certaines de ces formes, couleurs et figures présentes dans votre mental peuvent trouver une expression inconsciente. Dans ce contexte, quand quelqu’un dit que l’ashram est beau : je n’ai pas créé les montagnes, et c’est la plus belle partie de l’ashram. Elles sont la toile de fond, même si la plupart des gens ne les remarquent peut-être pas. 

Voici ce qui, un jour, est arrivé : Shankaran Pillai vient au Centre de Yoga Isha et il veut une chambre avec vue. Nous lui donnons une chambre appropriée dans le bloc Chitra. Il se plaint alors, répétant : « Je voulais une chambre avec vue. »  

Nous lui disons : « C’est la chambre qui a la meilleure vue. » 

Il répond : « Les maudites montagnes m’empêchent de la voir ». 

Voilà ce qui arrive à beaucoup d’êtres humains. Ils ne voient pas les choses telles qu’elles sont. À la place, ils ont des idées. Si vous voulez faire quelque chose de beau, la première chose à faire, c’est de ne pas avoir d’idées. Une idée n’est pas nécessairement en lien avec la réalité. Si, au lieu d’avoir une idée, vous avez de la perception et si vous vous abreuvez simplement de vie en permanence, lorsque vous voulez créer quelque chose ou voulez que quelque chose se produise, tout sera avec vous : formes, couleurs, sons, ou quoi que ce soit d’autre. Que vous souhaitiez créer de la musique, des vêtements ou un bâtiment, si vous prêtez suffisamment attention, tout sera là.

La créativité peut-elle être développée ou est-ce une qualité innée ?

Question: Sadhguru, la créativité est-elle innée ou peut-elle être cultivée ?

Sadhguru: Ce que nous considérons comme la créativité provient essentiellement de l’acuité de l’attention. Certaines personnes sont très attentives aux mots et aux significations, donc elles réutilisent certaines choses. Certaines personnes sont très attentives aux formes et aux couleurs ; elles vont s’exprimer d’une façon différente. Certaines personnes sont très attentives aux sons ; elles peuvent être capables de produire de la musique très facilement. L’acuité et la profondeur de votre attention se traduisent en vous d’une manière ou d’une autre.

Ce que j’essaie de faire, en substance, c’est d’amener des millions de personnes à vraiment prêter attention sans intention. Si les gens peuvent faire cette seule chose, la créativité multidimensionnelle est tout à fait possible. Ce n’est pas qu’ils doivent s’entraîner. Ce qui manque aux êtres humains, c’est l’attention.

C’est simplement leur propre activité cérébrale qui détourne leur attention. Les gens ne savent pas utiliser séparément leur mémoire et leur attention. Leur mémoire inonde toujours leur attention et l’obscurcit continuellement. Les gens peuvent appeler cet obscurcissement de la mémoire une pensée ou une émotion, mais c’est essentiellement la mémoire accumulée qui interfère avec l’attention. Sinon, il est très naturel pour vous d’être attentif. Lorsque vous êtes éveillé, vous êtes attentif, comment pourrait-il en aller autrement ? C’est uniquement que la mémoire s’infiltre dans tous les aspects.

C’est le travail fondamental que j’ai toujours essayé de faire : faire en sorte que les gens puissent séparer leur mémoire, leur attention et leur imagination. L’imagination n’est pas un problème, car l’imagination est une extrapolation de la mémoire de bien des façons. Tous les animaux ont une attention très vive, mais ils n’ont pas un sens aigu de la mémoire comme nous. Mais au lieu d’utiliser cette mémoire comme une capacité phénoménale, la plupart des gens l’utilisent pour se causer de la souffrance. La plupart du temps, les êtres humains souffrent de ce qui s’est passé il y a dix ans, et ils peuvent aussi souffrir de ce qui peut arriver après-demain.

Les animaux ont des difficultés, mais ils ne souffrent pas de leur mémoire, ils souffrent de la vie. La plupart du temps, les êtres humains souffrent uniquement de la mémoire. 

L’anxiété peut-elle alimenter la créativité ?

Question: D’où provient l’idée créative ? Est-elle née d’une certaine agitation intérieure ou d’une certaine anxiété ? Sinon, pourquoi aurais-je envie de m’exprimer ? Est-il important que le travail créatif, les idées, la poésie, la musique naissent de la turbulence ou de l’anxiété ?

Sadhguru: Le problème avec la plupart des êtres humains, c’est qu’à moins de les piquer avec une épingle, ils ne seront qu’à moitié vivants la plupart du temps. L’inertie est un choix que les gens ont fait. À cause de l’inertie, il peut ne rien se passer. Les personnes qui sont dans cet état ne se sentiront concernées par la vie que lorsqu’une menace comme une guerre, une pandémie ou une tragédie survient dans leur vie. C’est une façon de vivre regrettable. Vous devez vous sentir concerné à chaque instant de votre vie. L’intérêt devrait découler de l’implication, et non pas être provoqué par une situation. 

Nous ne connaissons la vie que dans la mesure où nous y sommes attentifs. Quelle est la profondeur de votre attention ? Ce n’est que dans cette mesure que vous faites l’expérience de la vie. Si votre attention est très profonde, votre expérience de la vie est très profonde. Lorsque votre expérience de la vie est très profonde, elle peut trouver une certaine expression dans le simple travail que vous faites, ou elle peut s’exprimer dans la poésie, la musique ou quoi que ce soit d’autre.

L’expression que vous trouverez dépend simplement de l’attention que vous portez. Votre attention est-elle simplement là pour tout ? Est-elle comme une simple ampoule ? Si vous l’allumez, la lumière d’une ampoule tombe sur tout. Ou ne vous occupez-vous que d’une chose bien précise ? La plupart des gens ne peuvent prêter attention qu’à une certaine chose qu’ils pensent être intéressante. Ce qui mérite votre attention et ce qui ne la mérite pas, c’est une mauvaise façon de voir la vie. La source de la création n’a pas accordé moins d’attention à la création d’une fourmi qu’à la création d’un être humain. Lorsque telle est la nature de la création, qui êtes-vous pour décider ce qui mérite votre attention et ce qui ne la mérite pas ? 

Qu’est-ce qui inspire la créativité de Sadhguru ?

Question:  Quand vous écrivez de la poésie ou peignez, dans quel état d’esprit êtes-vous ?

Sadhguru:  Cela peut sembler un peu étrange, mais quand j’écris de la poésie, je ne la relis même pas. Je ne pense pas à un concept particulier. D’une certaine manière, la poésie s’écoule de moi. Cette même chose peut devenir une peinture sous une forme ou une autre. Que je parle, conduise, enseigne, écrive ou peigne, pour moi, c’est à peu près la même chose. S’exprimer n’est pas le terme qui convient, parce que si vous voulez vous exprimer, vous devez avoir une pensée, une idée, une philosophie ou une idéologie. Pour moi, c’est plus un écoulement qu’une expression. J’ai toujours la volonté, mais si la situation le permet, je deviendrai un torrent, sinon je coulerai goutte à goutte.

Le point de vue de Sadhguru sur l’art

Question: Sadhguru faites-vous la distinction entre l’art populaire et les beaux-arts ? Pensez-vous qu’il y ait une hiérarchie dans l’art ?

Sadhguru: Non, pas du tout. Si je devais faire une sorte de catégorisation de l’art, je séparerais l’art venant de niveaux profonds de frustration de l’art venant de la joie. Cet art venant de niveaux profonds de souffrance et de frustration est devenu le style artistique européen à une certaine époque, et maintenant le monde entier cherche à l’imiter, ce qui est une chose très négative, car le fait que de telles choses soient toujours sur vos murs aura lentement un impact sur vous. Si cela n’a aucun impact sur vous, cela ne peut pas être appelé de l’art. Cela peut avoir de nombreux effets sur vous, et pas seulement visuellement. 

Malheureusement, les religions du monde ont fait l’éloge de la souffrance. Dans la culture yogique, nous avons toujours considéré ananda, la béatitude, et l’extase comme les valeurs suprêmes. La souffrance n’est pas valorisée parce que nous avons toujours considéré la souffrance comme étant autocréée, alors que la joie n’est pas autocréée. Lorsque vous êtes connecté à la vie, vous êtes naturellement dans un état de béatitude ; lorsque vous n’êtes pas connecté à la vie et que vous être perturbé sur le plan mental, vous ressentez alors de la souffrance et de la frustration. J’aimerais donc catégoriser l’art de ces deux manières : l’art qui vient de ce niveau profond de frustration et de souffrance, et l’art qui vient d’une expression joyeuse de la vie.