Question : Sadhguru, je vois beaucoup de gens qui sont cyniques, amers et frustrés par la vie. Ils ont l’impression que la vie les a vaincus et ils se résignent. Comment éviter de devenir comme ça, surtout à un âge plus avancé ? Et comment aider les autres à sortir de cette manière de tout voir comme un problème et non comme une opportunité ?

Sadhguru: Être cynique, déprimé et perdre tout intérêt pour ce qui se passe autour de soi : ces choses se produisent en grande partie parce qu’ils ont échoué à quelque chose. Et il est très facile d’échouer dans le modèle social actuel. Si vous observez la vie dans n’importe quel pays développé économiquement, une personne normale ne peut pas réussir. Il faut être complètement fou pour y parvenir. Ce n’est pas encore tout à fait le cas en Inde, mais nous allons dans cette direction. Fondamentalement, l’économie est un processus permettant d’assurer la survie des êtres humains. Mais aujourd’hui, elle a acquis une aura paradisiaque. Les forces commerciales ont créé une situation où l’économie est la chose la plus importante dans votre vie.

À une époque, s’il y avait une récession économique dans une société ou une nation, tout le monde conseillait d’épargner, de ne pas trop dépenser. Mais aujourd’hui, les gouvernements conseillent de dépenser : obtenir un prêt et faire des achats. Vous ne pouvez pas dépenser ce que vous n’avez pas, c’est aussi simple que ça. Mais la plupart des sociétés modernes ne comprennent pas ça. Les gens ont six cartes de crédit et pensent qu’ils peuvent les utiliser autant qu’ils veulent avant que la vie ne les rattrape. Les étudiants ont déjà un prêt étudiant d’un quart de million. Puis, ils doivent tout de suite acheter une voiture : ils prennent un prêt automobile. Puis ils doivent acheter une maison : un prêt hypothécaire sur 30 ans. Si vous vous endettez pendant 30 ans, je pense que vous avez perdu la raison : vous n’avez aucune compréhension de la vie.

Hypothéquer votre vie

Quand les êtres humains étaient des chasseurs-cueilleurs, ils étaient complètement libres. S’ils tuaient un animal un jour, ils avaient de quoi manger les 15 jours suivants et ils vivaient, c’est tout. Peut-être qu’ils jouaient du tambour fabriqué avec la peau de l’animal et dansaient autour d’un feu, ou utilisaient leurs mains pour créer autre chose. Mais la nourriture n’était pas certaine alors, ces animaux sauvages sont rapides. Bien des fois, ils ne tuaient rien et tout le monde avait faim. Les gens ont donc développé l’agriculture. En agriculture, on doit faire certaines choses tel jour, pas deux jours plus tard. Certaines compulsions sont venues avec ça, mais ça allait quand même.

En Inde, selon les céréales que l’on cultivait (je ne parle pas de cultures commerciales), on travaillait dur pendant 50 à 100 jours par an et le reste du temps, on enchaînait les festivités. Chaque village avait ses propres festivités auxquelles les gens des villages environnants se rendaient. Chaque mariage impliquait au moins cinq jours de célébration. Pour se nourrir, il ne fallait travailler que de 50 à 100 jours par an. Aujourd’hui, dès que vous avez un crédit sur 30 ans, il faut compter presque 365 jours. Que ça vous plaise ou non, vous devez y aller, mais tout le monde n’est pas armé pour ça. Certains perdront la raison au bout d’un certain temps.

Maintenant, il faut aussi payer une assurance maladie et une assurance décès. Alors qu’ils sont vivants et en bonne santé, les gens paient pour leurs funérailles en plusieurs échéances. À moins de partir d’une belle manière qui sera très utile pour tous ceux qui vous entourent, pourquoi vous souciez-vous de la manière dont vos funérailles seront organisées quand vous mourrez ? Je comprends que vous ne vouliez pas être une gêne pour d’autres, mais que vous importe la façon dont on vous enterrera, on vous incinérera ou on vous donnera en pâture aux chiens ? Ce genre de préoccupation vous privera de votre vitalité.

Un autre élément concerne le fait que vous devez constamment faire les choses comme une machine, et non par passion. La société tout entière attend de vous que vous soyez une machine. Vous ne vous réveillez pas le matin parce que vous voulez faire une différence dans un domaine aujourd’hui, ou parce que ce que vous faites est important, ou parce que vous voulez le faire  : c’est uniquement pour gagner votre vie. Il ne faut pas grand-chose pour gagner sa vie. Ça ne devient un problème que si vous voulez vivre comme quelqu’un d’autre. Si vous voulez juste vivre, c’est très simple, tout être humain est capable de ça.

Gagner sa vie ne devient compliqué que quand vous voulez vivre comme quelqu’un d’autre, quand vous voulez avoir les choses que possède votre voisin. Aujourd’hui, tout le modèle économique de la planète repose sur ça, ce qui fait sans cesse progresser le taux de suicide, le nombre de personnes cyniques ou frustrées et le nombre de troubles mentaux. C’est parce qu’il n’y a pas d’aisance dans la vie : vous avez toujours quelque chose à faire. Si vous n’allez pas à l’école, si vous n’allez pas au travail, quelque chose va mal se passer. Et vous ne pouvez pas tout à coup changer le cours de votre vie et faire autre chose. Tout le monde essaie de vous obliger à faire les mêmes choses tout au long de votre vie. La richesse ne va pas apporter la liberté aux gens : elle va les ligoter.

Le jeu de la comparaison

Un jour, je roulais dans un quartier huppé de Washington où de nombreuses grandes entreprises ont établi leurs bureaux. Il y avait environ 150 à 200 hommes et femmes sur le trottoir, tous bien habillés et de toute évidence bien payés. C’était l’heure du déjeuner, mais ils n’étaient pas assis dans un endroit agréable et ils avaient acheté des hot-dogs ou autre chose dans la rue. Quand je me suis arrêté à un feu rouge, j’ai vu que personne ne se parlait. Ils tenaient tous quelque chose enveloppé dans du papier et mordaient dedans comme des chiens affamés. Les êtres humains sont censés manger d’une manière un peu plus esthétique.

C’étaient tous des gens aisés, pour la plupart des jeunes ayant un emploi convoité. Mais voilà comment ils mangeaient, debout sur le trottoir. Ils déjeunent probablement tous les jours de cette façon. Si c’est comme ça que vous vous traitez, que vous traitez la nourriture que vous mangez et l’eau que vous buvez, si c’est comme ça que vous traitez l’air que vous respirez et toute vie autour de vous, comment pouvez-vous être bien ? Vous ne pouvez pas être bien.

Seulement, vous conduisez une voiture plus coûteuse que votre voisin : c’est le seul bien-être que vous connaissez. Vous ne pouvez pas connaître la joie d’être simplement vivant. Quand vous ne connaissez pas la joie d’être vivant, le frisson que vous procure le fait de conduire une plus belle voiture que votre voisin va s’user lentement et vous deviendrez frustré. En vieillissant, vous râlerez sur tout. Vous deviendrez irritable et stupide : vous ne deviendrez pas sage. Regardez les grands-pères de nos jours : ce ne sont vraiment pas des sages. La plupart ne renvoient pas une image de sagesse, mais d’irritabilité, de cynisme, de frustration et de dépression. Ou ils ont complètement perdu la mémoire et la raison parce que tout a toujours été une question d’économie.

À une époque, quand la vie prenait fin, ils avaient toujours quelque chose dont quelqu’un pouvait hériter. Plus maintenant. La vie moderne signifie que leurs économies prennent fin quand il reste encore un peu de vie en eux. Toute leur vie, leur état d’esprit a été de savoir combien de dollars ou de roupies ils avaient et ce qu’ils gagnaient. Quand tout cela est disparaît, naturellement, ils deviennent cyniques, frustrés et déprimés.

Cessez de vous sentir frustré par la vie

Peu importe que le monde réorganise sa vie ou non, il est temps que vous réorganisiez votre vie. La chose la plus précieuse dans votre vie est la vie même, tout le reste n’est qu’accessoire. Où j’habite, ce que je conduis, ce que je porte, ce que je mange : tout ça n’est qu’accessoire. Je suis vivant en ce moment : voilà la plus grande joie. Peu importe que vous viviez comme ci ou comme ça : connaissez-vous la joie d’être vivant ? Si vous ne la connaissez pas, à quoi bon ? À quoi bon vivre dans un palais et être malheureux ?

Un jour, il y a de nombreuses années, je suis allé à l’ambassade des États-Unis à Chennai, et quand je suis sorti du bâtiment, il y avait un jeune garçon de l’Andhra Pradesh assis dans la rue qui pleurait amèrement, comme si quelque chose de grave était perdu et que c’était la fin de la vie. Je me suis approché de lui et lui ai demandé : « Que t’est-il arrivé ? » Il s’est avéré qu’il avait fait une demande de visa pour les États-Unis qui avait été rejetée. C’était la fin pour lui. Il est emprisonné dans ce grand pays qu’est l’Inde. Il ne peut pas aller aux États-Unis. De toute façon, la moitié de ceux qui y sont nés et qui y vivent sont incapables de le supporter, mais ce jeune garçon a le cœur brisé parce qu’il ne peut pas y aller.

Peu importe le niveau de confort économique que vous atteignez, si vous ne connaissez pas la joie de votre existence, toutes les autres choses se moqueront de vous et vous rendront de plus en plus malheureux. Quand vous êtes pauvre, au moins vous avez l’espoir qu’un jour, quand vous réussirez, tout ira bien. Une fois que la richesse se répand dans la société, vous vous rendez compte que ça ne suffit pas, et un profond sentiment de frustration surgit.

Peu importe le niveau de confort économique que vous atteignez, si vous ne connaissez pas la joie de votre existence, toutes les autres choses se moqueront de vous et vous rendront de plus en plus malheureux. Quand vous êtes pauvre, au moins vous avez l’espoir qu’un jour, quand vous réussirez, tout ira bien. Une fois que la richesse se répand dans la société, vous vous rendez compte que ça ne suffit pas, et un profond sentiment de frustration surgit.

Si vous pensez qu’il y a quelque chose de plus important dans cette vie que le fait d’être vivant en ce moment, vous finirez forcément par être amer et frustré par la vie. Ce n’est qu’une question de temps et de situations de vie avant que vous en arriviez là. Vous devez laisser pénétrer ça profondément en vous : la plus grande joie de votre vie réside dans le fait d’être vivant en ce moment. Si vous en avez conscience à chaque instant de votre vie, si vous vérifiez et comprenez, « je suis toujours vivant, super ! », que voulez-vous de plus ? Savoir si vous allez ou non dîner causera peut-être un peu d’inquiétude, mais malgré tout : je préférerais avoir faim et vivre plutôt qu’être gavé et mort. Et vous, que choisissez-vous ?

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